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Des migrants se rassemblent à la frontière biélorusse-polonaise près du poste frontière polonais à Kuznica, le 15 novembre 2021.
Des migrants se rassemblent à la frontière biélorusse-polonaise près du poste frontière polonais à Kuznica, le 15 novembre 2021.
©OKSANA MANCHUK / BELTA / AFP

Le point de vue de Dov Zerah

La crise migratoire est au coeur des enjeux de la politique européenne suite à l’afflux de milliers de migrants qui tentent d'entrer en Pologne et après le naufrage d’une embarcation au large de Calais provoquant la mort d’au moins 27 personnes qui souhaitaient rejoindre le Royaume-Uni.

Dov Zerah

Dov Zerah

Ancien élève de l’École nationale d’administration (ENA), Dov ZERAH a été directeur des Monnaies et médailles. Ancien directeur général de l'Agence française de développement (AFD), il a également été président de Proparco, filiale de l’AFD spécialisée dans le financement du secteur privé et censeur d'OSEO.

Auteur de sept livres et de très nombreux articles, Dov ZERAH a enseigné à l’Institut d’études politiques de Paris (Sciences Po), à l’ENA, ainsi qu’à l’École des hautes études commerciales de Paris (HEC). Conseiller municipal de Neuilly-sur-Seine de 2008 à 2014, et à nouveau depuis 2020. Administrateur du Consistoire de Paris de 1998 à 2006 et de 2010 à 2018, il en a été le président en 2010.

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Depuis quelques semaines l’actualité est en grande partie focalisée sur des événements relatifs à des migrants :

  • L’afflux de milliers de migrants qui tentent de forcer l’entrée en Pologne
  • Le naufrage d’une embarcation au large de Calais entrainant la mort d’au moins 27 candidats à l’entrée au Royaume-Uni.

Face à ce phénomène, l’Europe est interpellée d’autant plus qu’elle semble, une fois encore, impuissante, subissant les événements. Pourtant, depuis une dizaine d’années, voire plus, l’arrivée de migrants d’Afrique, d’Afghanistan, d’Irak, de Syrie ou d’autres pays n’est pas une nouveauté.

Ce sujet va perdurer, voire se développer, compte tenu des évolutions démographiques.

Le monde est confronté à une explosion démographique inégalée dans l’histoire de l’humanité. La population mondiale connaît une croissance de plus en plus rapide : 250 millions au début de notre ère, 460 en 1500, 1 milliard en 1800, 3 en 1960, 4 en 1975, 5 en 1988 et 6 en 2000, 7 en 2010, et probablement 9 en 2050… L’ONU prévoit une stabilisation de la croissance démographique et de la population mondiale autour de 2050/2060 avec 9 à 10 milliards d’habitants.

La croissance de la population se répartit inégalement. En 2012, l’Asie concentrait 60,3 % de la population, l’Afrique 15,2 %, l’Europe 10,5 % et l’Amérique Latine et les Caraïbes 8,6 %. En 2050, l’ONU prévoit une évolution de cette répartition : 55,3 % en Asie, 23,6 % en Afrique, 7,7 % en Europe, 8,1 % en Amérique latine et dans les Caraïbes et seulement 4,8 % en Amérique du Nord. En quarante ans, le poids de l’Afrique va presque doubler.

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En 2050, l’Asie et l’Afrique regrouperont donc près de 80 % de l’humanité. La population de l’Afrique subsaharienne va s’accroître de plus d’un milliard d’ici 2050 pour atteindre près de 2 milliards d’habitants, plus du double de sa population actuelle. La question est de savoir si les progrès technologiques et sociaux permettront de gérer une planète avec 10 milliards d’individus. Plus spécifiquement, le questionnement porte sur l’Afrique ; arrivera-t-elle à avoir une croissance économique supérieure à celle de la population ?

À défaut, la vague des migrants ne cessera d’autant plus que l’Europe apparait comme une zone en déclin démographique.

Une nouvelle fois, je me dois de rappeler que la gestion de l’immigration passe par le développement économique de l’Afrique. Comme je l’écrivais le 1er juin dernier dans ma chronique « aider le Zambèze pour protéger la Corrèze » :

« L’Europe ne peut vivre à l’abri des malheurs africains. L’avenir de l’Europe se construit au-delà de la Méditerranée, même si sa prospérité se forge en Asie. D’ici à 2050, l’Afrique va être confrontée à un choc démographique sans précédent, une urbanisation très rapide, à des effets collatéraux du changement climatique. En peu de temps, il faut à la fois nourrir les populations, les accueillir au sein d'importants ensembles urbains, donner aux jeunesses l’éducation et les qualifications pour assurer leur employabilité, créer des emplois en nombre suffisant, renforcer et développer les infrastructures… L’Europe ne peut être absente de ces défis, autant par générosité que par intérêt bien compris. Si les Européens ne réagissent pas, ne nous étonnons pas ensuite de voir arriver sur notre sol des exilés politiques, des émigrés économiques, des fuyant le terrorisme, des migrants climatiques… »

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Dans leur relation avec l’Afrique, dans leurs mécanismes d’aide au développement économique de ce continent, les pays européens doivent faire attention de ne pas susciter, favoriser la fuite des cerveaux africains. Dans la volonté affirmée par chaque État européen d’avoir une immigration choisie, de n’accepter que des personnes susceptibles de satisfaire des besoins de leur marché du travail, le risque est grand de vider l’Afrique de ses compétences, et de créer un handicap supplémentaire, voire dirimant à son essor.

Un des points communs entre la crise polono-biélorusse et les malheureux de la Manche est l’émergence du sujet de la frontière européenne, même si dans le premier cas c’est la Pologne qui est en première ligne et que dans le second c’est la France qui est chargée, aux termes du traité franco-britannique signée en 2003 au Touquet, de contenir les migrants cherchant à se rendre outre-manche.

La Commission et les États membres ont soutenu la Pologne face à une instrumentalisation de la misère humaine par le Président biélorusse Alexandre LOUKACHENKO en représailles aux sanctions de Bruxelles à son encontre.

La Biélorussie est un petit pays d’à peine plus de 200 000 km², enclavé au milieu de cinq voisins : la Lettonie, la Lituanie, la Pologne, la Russie et l’Ukraine, Avec moins de dix millions d’habitants, le pays n’est pas très peuplé et a une densité inférieure à 50 habitants au km².

De nombreux signes ont démontré que Minsk avait pris une telle initiative avec l’assentiment de Moscou :

  • La menace de fermer les vannes du gazoduc Yamal-Europe n’a pu se faire sans l’accord du « grand frère ». Cela démontre, une nouvelle fois, l’erreur d’Angela MERKEL d’avoir mis son pays et d’autres États européens dans la dépendance du gaz russe avec les gazoducs Nord Stream.
  • Le ministre russe des affaires étrangères, Sergueï LAVROV, n’a pas hésité à inviter l’Europe « à payer la Biélorussie pour garder les migrants sur son territoire, comme elle le fait avec la Turquie ». Cela démontre, une nouvelle fois, l’erreur de l’Allemagne d’avoir imposé à l’Europe cet accord avec « le grand turc ».

En payant Ankara pour qu’il retienne les migrants, Bruxelles s’est dessaisi d’une compétence régalienne et démontré son incapacité à s’affirmer. Après la Turquie, la Biélorussie et peut être demain le Maroc … ! La boite de Pandore a été ouverte.

Ce nouvel exemple atteste de la difficulté d’établir un véritable partenariat avec Wladimir POUTINE. Pour assurer la paix sur le continent européen et contenir l’expansionnisme chinois, l’idéal serait, bien évidemment, de s’entendre avec Moscou. Mais les manœuvres poutiniennes, de la Crimée à la Biélorussie en passant par l’Ukraine sans sous-estimer les interventions en Centrafrique, Lybie, Syrie ou Mali ainsi que les immixtions dans les processus électoraux… devraient être de nature à décourager toutes les bonnes volontés.

Au lieu de jouer avec la vie des migrants, POUTINE et LOUKACHENKO devraient les intégrer dans leur pays par humanité et par intérêt pour compenser leur faible démographie. Au cours de l’année écoulée, la population russe de 140 millions de personnes a diminué d’un million de personnes, sous l’effet d’une pandémie mal gérée, mais également d’une natalité toujours en berne. Un rapport gouvernemental de 2019 avait prédit, avant la crise sanitaire, que la Russie perdrait d’ici à 2035 de 4 à 12 millions d’habitants. De son côté, l’ONU prévoit qu’à la fin du siècle, il n’y aurait plus que 100 millions de Russes.

La Commission et les États membres ont soutenu la France dans son différend avec le Royaume-Uni. Cette nouvelle crise entre Paris et Londres démontre les effets néfastes du BREXIT. De crise en crise, la Manche ne cesse de s’élargir.

Cinq personnes susceptibles d’être les passeurs ont été arrêtées. Cette tragédie a mis en lumière le développeent des activités illicites de traversée de la Manche ? Un renforcement des forces françaises de contrôle des côtes a été annoncé.

Pour faire face à la situation, le ministre français de l’Intérieur a dernièrement invité à Calais ses homologues allemand, belge et néerlandais. L’absence du britannique a été relevée. La seule décision concrète a été d’organiser une surveillance aérienne des mers d’Amsterdam à Cherbourg.

Ces mesures sont-elles à la hauteur de l’enjeu ? Était-ce mieux avec l’édiction de nouvelles sanctions contre la Biélorussie ?

Ces deux crises ont certes révélé la nécessité d’une défense commune des frontières de l’Union. Mais cela ne suffit pas. Encore faut-il trouver le mode opératoire entre :

  • Une Allemagne qui souhaite accueillir des immigrés pour des raisons économiques,
  • Une France qui s’oriente vers un contrôle de l’immigration pour des raisons identitaires,
  • Une Pologne, une Hongrie et d’autres qui veulent se réfugier derrière un mur…

La quadrature du cercle est quasiment insoluble et l’Europe va continuer à placer des « cautères sur une jambe de bois » …

Les Européens n’ont toujours pas dépassé leur inhibition de faire de l’Europe une grande puissance.

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